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La Loi de Brenn – Galaad

Il y a vingt ans paraissait le meilleur album de rock jamais chanté en français: Vae Victis du groupe suisse Galaad, aujourd’hui disparu. Cette bande prévôtoise, menée par son barde fou, le poète à voix de feu Pierre-Yves Theurillat, mit tout le monde d’accord et aplatit , en onze titres-joyaux, toute comparaison possible, menant ainsi la vie dure au journaliste musical en mal de stéréotypes. Inventeur d’un genre nouveau, la « fusion progressive », le quintette jurassien se fait alchimiste. En mêlant des influences hétérogènes (Marillion, Peter Hammill, King Crimson, Ange, Malicorne, Faith No More, Dream Theater ou Pearl Jam), le produit fini ne ressemble à rien de connu. Une mer de contrastes s’offre alors à l’auditeur-navigateur, ébloui mais tourmenté: du rock progressif énervé  porté par une section rythmique martiale et énergique, des textes de toute beauté incarnés par un chant écorché à la limite de la rupture mais toujours incroyablement maîtrisé.

L’avant-dernier titre de cet album parfait, « La Loi de Brenn » offre, en douze minutes qui ne laissent aucun répit, la synthèse de toutes les qualités présentes en diffracté sur le reste du disque. La plage s’ouvre sur une phrase de guitare que l’on retrouvera dans le superbe solo de clôture. Le choeur latin impose alors le calme « Tibi se cor meum …. » avant que la voix possédée de Pyt (Pierre-Yves Theurillat) ne vienne hanter nos oreilles à coups de phrases assénées sans retenue ni complaisance. Et c’est parti pour plus de neuf minutes de folie furieuse. Puis, l’affaire se calme et , après un rappel plaintif du vocaliste, débarque sans crier gare un des plus beaux passages de six-cordes jamais gravés. Sébastien Froidevaux déploie son grand art: jamais démonstratif, son chorus mélodique rend hommage à Steve Hackett (Genesis), David Gilmour (Pink Floyd) et surtout Steve Rothery (Marillion), sans les citer, se contentant de payer son dû aux grands maîtres à planer. Après une telle somme, sonné, le mélomane n’aura de cesse de réclamer à grands cris le retour de Brenn car lui aussi il sait que Brenn reviendra ici-bas.

Et ce retour se fait imminent. Pyt sortira son nouvel album solo, Mon grand Amer, ce printemps. Une nouvelle pièce maîtresse à n’en point douter. Et, selon les dires du maître de cérémonie, un nouveau style assumé: le genre « punk symphonique à la Barbelivien » ! On préfère néanmoins rassurer le public déjà apeuré: les textes de qualité de l’auteur ont plus à voir avec ceux d’Étienne Roda-Gilles ou Jean Fauque (Alain Bashung) qu’avec les ritournelles sucrées du ridicule parolier de variétés. L’avenir risque donc d’être aussi avenant que l’avant. Vae Victis !

 Christophe Gigon

http://www.pyt.cn.com/

 

This Strange Engine – Marillion

Ce morceau-titre du neuvième album studio de Marillion, morceau-fleuve de près de vingt minutes, constitue, non seulement le moment de bravoure des Britanniques mais, et c’est bien cela qui nous importe, une pièce de musique parmi les  plus émouvantes du rock du XXe siècle, ni plus ni moins.

Ce long poème autobiographique en prose du chanteur Steve Hogarth (qui a remplacé l’Ecossais Fish en 1989, est-il besoin d’encore le rappeler ?), magnifiquement mis en musique par le Club des cinq, est structuré en plusieurs mouvements, qui suivent sinueusement les aspérités du texte. Certes, l’ensemble pourrait sembler cloner les bases d’un rock progressif honni par l’intelligentsia journalistique qui le croyait relégué dans l’antichambre des mauvais souvenirs issus des seventies. En fait, si certains passages feront immanquablement penser aux ténors du genre (Yes, Genesis et autres Pink Floyd), le tout forme un ensemble tellement cohérent, tenu en grande partie par la puissance évocatrice de la voix du chanteur, probablement l’une des plus belles du rock d’expression anglaise, comme le suggère lui-même le Dictionnaire du rock édité par Michka Assayas dans la collection Bouquins de Robert Laffont. Le guitariste Steve Rothery, impressionnant de retenue, semble faire pleurer son instrument lors de deux soli magistraux qui fonctionnent comme « ponts de ponctuation » liant les différentes séquences. Pour être clair, quitte à rebuter une grande frange du lectorat, jamais David Gilmour (Pink Floyd) ou Steve Hackett (Genesis) ne sont parvenus à ce point de sensibilité, tout en élégance et en mélodie accessible. Écouter, pour s’en convaincre, le passage instrumental démarrant aux alentours des onze minutes. Au casque, les yeux fermés, on quitte le monde. Pour n’y revenir qu’en toute fin de voyage, au moment où le vocaliste se risque à pousser un cri primal du plus étonnant effet.

This Strange Engine, cette étrange machine qu’est le cœur de nos émotions, le centre de réception de tous les sensibles. La messe est dite. D’ailleurs, depuis la parution de ce magnum opus, en 1997, la périphrase utilisée par les mélomanes pour parler du groupe reste « La machine à rêver ». Jetez-y quelques pièces et décollez.

Christophe Gigon