Je devais avoir douze ans, et elle quatorze. Elle avait une guitare et une jolie voix. On était autour d’un feu; ça sentait bon le cervelas, les parents jouaient aux cartes. Hugues Aufray était notre Henri Dès et Céline notre tube…
Mais voilà qu’un garçon de seize ans prend la guitare et chante du Johnny…
Je détesterai pour toujours Johnny.
Et « dis-moi, Céline, les années ont passé… » et moi non plus je ne me suis pas marié.
Maintenant, mon fils s’essaie à la guitare et je lui montre les seuls accords que je connaisse, ceux de Céline et des Portes du pénitencier… Et lui préférerait Kashmir de Led Zep!
Dès les premières mesures du morceau, on peut entendre le bien nommé Johnny Rotten éructer un jouissif « Right Now ! » (Tout de suite).
En quelques secondes, le décor est planté et tout est dit. Le monde de la pop ne sera plus jamais pareil, il y aura un avant et un après ce « Right Now ! ».
Bien sûr que les Sex Pistols sont le fruit d’une énorme supercherie, mais la vie n’est-elle pas une énorme supercherie ?
Jugez plutôt ce que l’enfant que j’étais pouvait ressentir au son de cette voix, un mélange d’excitation et d’inquiétude. Comme si je découvrais le vrai timbre de Satan, mais plutôt que de m’enfuir tout de suite, je restais un peu pour voir, parce que j’avais le sentiment qu’avec ce diable-là, on ne s’ennuyait pas.
Et quel message me délivrait ce beau diable ? « Right Now ! », comme une invitation à l’action, ici et maintenant, un appel à faire exploser toutes les barrières érigées par la société, ou par moi-même. Peu importe ce qui se passera après, agir toujours et « tout de suite ».
C’est comme si cette bande de fouteurs de merde avait redonné le pouvoir à nos cerveaux reptiliens, celui qui n’a qu’un instinct, vivre et survivre. Tout le reste n’est que baratinage.
Sous la crête du chanteur des Sex Pistols se cache peut-être l’un des plus grands philosophes du XXe siècle, mais un philosophe sans dogme, qui n’invite qu’à une chose : agir « Right Now ! »