Archives du mot-clé Rock

Les Écorchés – Noir Désir

C’était quand, j’avais quoi, 14 ans ? L’âge où là ça commence, à bouillonner dans le ventre, dans la tête, dans la poitrine, là où on sort de l’enfance, du cocon douillet, et qu’on a le pressentiment qu’il y a quelque chose dehors, au-delà des quatre murs de notre chambre, un truc qui nous attend, qui va nous occuper quelques temps, une vie nocturne dont nous n’avions avant pas conscience et dont nous sommes encore exclus, parce que trop jeunes, parce que trop petits, même si quelque part là, ça y est, c’est bon, on se sent grands. Ça pousse trop vite les mômes, et il y a des déclics, des affirmations, celle de s’acheter soi-même ses propres CD par exemple, de ne plus se contenter des vinyls de Brel piqués aux parents. Alors pourquoi Noir désir ? L’histoire ne le dit plus, l’a oublié, sans doute pas les Sombres héros, je l’entendais celle-là mais je ne l’aimais pas, trop douce. Moi, celle que j’aimais, c’était Les Écorchés.

Emmène-moi danser dans les dessous d’une ville en folie, la chaude voix de l’homme alors que je n’étais qu’une gamine. Le désir mal contenu, l’envie de se frotter au monde, la rage, oh oui surtout la rage. Cette chanson écoutée en boucles, à fond, le casque sur les oreilles la nuit, ou à plein volume quand la maison était vide, parfois, enfin. Quasi hypnotique toujours, même maintenant, j’entends les premières notes et je me retrouve propulsée, sur les banquettes arrières des taxis, dans ces nuits où on a les yeux si grand ouverts, où l’on voit tout, où l’on prend tout, tout ce qu’il y a à prendre, mais où il fait si sombre. Je ne savais pas encore, l’alcool, la drague, ces moments où tout dérape, mais quelque part, sans doute, ça me parlait déjà, ça m’attirait, un nouveau champ des possibles, une quête effrénée qui ne demandait qu’à exister.

Bien sûr aussi, comment pourrait-il en être autrement, la littérature était là aussi, au-delà des mots, qui était ce Lautréamont ainsi célébré, qu’avait-il de plus que moi, moi qui n’avais encore rien, rien vu, rien vécu, rien souffert. Quel était le message, quel était mon futur ? Noir désir ce sont mes 14 ans retrouvés, en deux mots, la nuit et l’envie.

C’était une chanson pleine, chaque mot, chaque assonance, résonnait en moi, comme une promesse, parfois même comme une menace. Si on se lasse de tout, pourquoi nous entrelaçons-nous ? ça résonnait et ça me créait, me construisait. Ces mots, ces vers, se sont gravés en moi, me révélaient-ils ou me forgeaient-ils ? La désespérance avant même d’y goûter. Il ne faut pas oublier à quel point l’adolescence est une période sombre, tout sauf futile, où la peur se dispute au renoncement, déjà. Mais le corps a ses pulsions qu’il faudra assouvir, c’était peut-être ça l’instinct de vie, l’envie de grandir, un gros riff de guitare, un rythme imprévisible, qui s’endiable, et des mots, des mots, des cris, qui ne sont pas encore les nôtres mais qu’on a envie d’adopter, de répéter, de hurler, pour se les approprier.

Il me faudra encore quelques années avant qu’on me glisse, comme ça, mine de rien, au détour d’une conversation, un vieux, au moins 30 ans, que mes Écorchés étaient des drogués, de ceux qui se piquent la peau, qui se la trouent en quête d’une fulgurance, d’un shoot, d’un grand flash blanc. Bien sûr qu’on s’étonne, et puis que tout se met en place alors, mais ça ne change rien, mes Écorchés restent mes Écorchés, des trop sensibles, des trop fragiles, des trop vivants, de ceux qui brûlent, qui brûlent, qui brûlent, comme me l’apprendra Kerouac que je découvrais à peu près à la même période.

Et quand parfois je doute, du chemin, ou juste du grand sens de tout ça, de tout ce bordel, je me le remets cet album que j’ai tant écouté, dont je connais chaque note, et la rage renait, énergie si particulière, entre colère et revendication, juste cette fabuleuse putain d’envie de vivre. Rock’n’roll.

Amandine Glevarec

 

Something I Can Never Have – Nine Inch Nails

J’ai découvert Nine Inch Nails en regardant un couple s’engueuler dans le désert…

  1. Le film Tueurs-Nés d’Oliver Stone sortait alors sur les écrans. Une histoire de violence et de frustration, celle de deux amants qui prennent la route, se droguent, tuent tous ceux qui se mettent en travers de leur chemin. Et donc, la fameuse scène dans le désert où, complètement fracassés, Mickey et Mallory se disputent comme des chiffoniers, préfigurait une histoire d’amour musicale qui dure encore maintenant, plus de vingt ans après la première vision du film.

On m’avait déjà parlé de Nine Inch Nails bien sûr, de Trent Reznor, le « roi du rock industriel », et patati, et patata, je n’y entendais rien, je n’avais d’oreilles que pour la musique électronique, pour moi le rock était fini, les raves avaient remplacé les concerts. Fin de l’histoire.

Mais quand les première mesures de « Something I Can Never Have » ont fait leur chemin entre deux bordées d’injures prononcées par les amants maudits de Tueurs-Nés, il y a eu comme un bruit de verre brisé dans ma poitrine. Sans savoir qu’il s’agissait d’un morceau de ce groupe dont on m’avait tant parlé, j’ai senti un truc que je n’avais pas senti depuis longtemps : le rock n’était peut-être pas tout à fait pas MORT.

My favorite dreams of you still wash ashore
Scraping through my head ’till I don’t want to sleep anymore

La musique de Nine Inch Nails était faite pour moi. Oui, j’ai ressenti une sympathie immédiate avec les textes de Trent Reznor, ce parangon de la mise en chanson des tourments de l’âme humaine : la colère, la frustration, l’autodestruction, les regrets et ces élans adolescents qui font le fond de commerce de Nine Inch Nails, ça m’a parlé… Et ça me parle toujours. Et puis, il y avait une communion d’exigence musicale et de pensée entre fans du groupe, c’est un peu ridicule, mais on avait peut-être l’impression d’appartenir à une élite, ce mot tellement galvaudé.

You make this all go away
You make this all go away

Le plus bel exemple des émotions que procure la musique de Nine Inch Nails, je le dois à un de mes meilleurs amis. Ayant failli être emporté par une atroce maladie du sang, il avait décidé, à peine remis, de se joindre à nous pour aller voir Reznor & Co. en concert. C’était en 2012, je crois. Au moment du final, alors que l’immense Hurt résonnait sur la plaine du festival, j’ai vu mon pote qui pleurait d’abord doucement, puis tout son corps a été secoué de sanglots. Il vidait enfin son sac – après toutes ces épreuves – et ça m’a touché au fond du cœur.

Je n’oublierai jamais ce moment.

This thing is slowly taking me apart
Grey would be the color if I had a heart

Mais à l’époque de cette découverte, en 1994 donc, j’étais encore un chien fou, solitaire, perdu et plein de rancœur. La rage de Nine Inch Nails nourrissait littéralement la mienne : la sérénité n’est venue qu’après. J’avais l’impression, à l’époque, que ma vie était sans objet et que la réussite de mes entreprises était contrecarrée par le mauvais sort. Alors forcément, ces chants désespérés (qui sont les plus beaux, comme l’a écrit si justement Musset) ont trouvé un écho favorable en moi, un terrain fertile.

I just want something
I just want something I can never have

Il y a une tristesse insondable dans cette chanson.

Mais cette tristesse, je l’ai laissée suivre sa route, et ai pris un autre chemin, il y a longtemps déjà. Car il vaut sans doute mieux embrasser la vie et se battre plutôt que de chercher des excuses à ses propres manquements.

Nicolas Metzler

 

Comme elle vient – Noir Désir

Et voilà du rock, du lourd, du qui tache et qui fait mal aux doigts à jouer à la guitare.
Une chanson faite pour être braillée en chœur, la voix cassée d’avoir fumé trop de cigarettes et bu du mauvais rhum. Un truc d’étudiants, en somme. Un poncif, mais qui a la vie dure, et tant mieux.

Sans cette chanson, il y a fort à parier que je serais aujourd’hui mariée à un ingénieur et mère de 1.99 enfant, avec la maison, le chien, la totale.

C’était sans compter que mon chemin tranquille d’étudiante studieuse croiserait celui d’une bande d’allumés. Avec en son centre, Olivier, toujours prêt à dégainer sa gratte en fin de soirée. Et moi, arrivée par hasard dans ce microcosme et qui ne jurais auparavant que par la musique anglophone, j’ai littéralement senti un monde s’ouvrir.

Un monde schizophrène, où le cynisme le plus dur se mariait sans fausse note avec des vies qu’on osait tout à coup rêver tout haut. Et sur les accords de Noir Désir, on arrivait à croire que l’on serait différents, qu’on échapperait à tout ça, le formatage, la moyenne, les normes.

Alors parce qu’en l’espace de ces quelques strophes, on se voyait vraiment changés en rois, qu’on a hurlé ensemble à la lune, et même si aujourd’hui les jeux sont faits, je ne laisserai personne dire que ce n’est pas une des plus belles chansons du monde.

Aude Nessi

Mamy Blue – Nicoletta

Allez, je me lance dans un deuxième article. Je vais me payer la honte, c’est sûr, moi l’amateur de punk-rock, d’opéra et de Brel. Moi le fan des Kinks, de Slade et des Pink Floyd de l’époque Meddle… Moi qui ai vibré sur Winehouse, Wagner et Charlotte Parfois. Moi qui, moi qui, moi qui, président de la république mettrais quinze heures de musique par semaine dans les écoles primaires et vingt à l’université. Moi, président… Non, c’est pas ça que je dois écrire, c’est sur Mamy Blue de Nicoletta, je crois… Woaaw la référence qui craint, j’espère qu’aucun pote ne lira cet article un jour.

Allez j’avoue, j’avais neuf ans, c’était pas ma faute si je ne savais pas que les « Bitols » et les « Beatles » étaient un seul et même groupe, que les Stones étaient de braves garçons gentils avec leur maman, et que Nicoletta, bon… Mais c’était dans la 2CV de Flavien. Flavien, c’est pas l’empereur, je suis pas si vieux quand même, c’est le père de mon pote de toujours, près de cinquante ans d’amitié, qui dit mieux? On s’est connus tout petits, et on est toujours copains, escaladant tous les sommets de Haute-Savoie dès que l’occasion se présente. On avait donc neuf ans, on était quatre gamins à l’arrière de la 2CV, à l’époque il n’y avait pas de ceintures de sécurité, pas d’ABS pas d’airbag – que l’air con comme dit Geluck –, on allait skier, il y avait la sœur de mon pote, mon pote, ma sœur et moi. On mâchait du chewing-gum pour boucher les trous du toit en tissu souple de la 2CV, une Diane je crois. Il devait y avoir la radio, et c’est là que Mamy Blue intervient. Ça devait être une sorte de tube de l’époque. On était les quatre gamins à chanter et hurler ça sur la banquette arrière. Les parents du pote riaient en nous entendant depuis l’avant. Tout ça était simple, joyeux, on ne connaissait pas encore Guantanamo, l’État islamique, les OGM, Blocher, les dangers du nucléaire. Quarante ans ont passé, et j’ai à nouveau les larmes aux yeux en écoutant ça. En plus les paroles de Nicoletta semblent revenir dans le temps pour redonner vie au jeune homme que je fus, qui parlerait à l’enfant que je ne serai plus jamais non plus :

Je suis parti un soir d’été
(Oh Mamy)
Sans dire un mot, sans t’embrasser
(Oh Mamy)
Sans un regard sur le passé
(Oh Mamy)
Le passé
Dès que j’ai franchi la frontière
(Oh Mamy)
Le vent soufflait plus fort qu’hier

Ainsi va la vie…

Philippe Gobet

Overkill – Motörhead

Une chanson, c’est fait pour être chanté en public ! Alors à l’heure où le trio légendaire du metal anglais vient nous offrir une représentation dans les arènes d’Avenches, je vous offre ce petit bijou d’amour et de partage scénique.

À la barre, trois bons pères de famille qui jouent toujours les durs :

– Lemmy Kilmister, chanteur-bassiste, légendaire pour ses deux énormes poireaux, sa barbe et ses 2500 conquêtes;

– Phil Campbell, guitariste gallois de génie, également appelé « The Welsh Wanker » (je fais confiance à votre niveau d’anglais…)

– Mikkey Dee, suédois qui sourit tout le temps et accessoirement batteur quinquagénaire avec des bras larges comme des troncs d’arbre

Dans Overkill, les paroles sont toujours ciselées avec finesse et imagination, mais pas plus que leurs autres tubes au titre suggestif Killed by Death ou We are Motörhead.
Comme à l’accoutumée, Lemmy nous enchantera sans varier d’un ton, preuve que quarante-neuf ans de carrière et une bouteille de whisky quotidienne n’altèrent rien à ses qualités vocales.

Et ni plus ni moins que d’habitude, Phil nous gratifiera de ses solos légendaires.

Alors pourquoi celle-ci et pas une autre ?

Tout simplement car après avoir « envoyé le pâté » pendant trois minutes, il y a ce trait de génie : faire croire que c’est la fin de la chanson (et du concert), et ce à deux reprises !
Puis, offrir un grand moment de partage à tout le monde :

– à Mikkey, le batteur-bûcheron, à qui on offre le plus grand moment du concert, lui qui réveille tout le public par deux solos de batterie dans un monde où chanteurs et guitaristes relèguent trop souvent les autres au rang de faire-valoir

– aux spectateurs néophytes : ceux qui sont là car  ils voulaient voir d’autres groupes dans le festival, ou encore ceux qui ne connaissaient que Ace of Spades… Eux pensaient que le concert était fini et ont finalement le droit à un deuxième service de dessert !

– aux fans purs et durs : ceux qui sont aux premiers rangs du pogo, qui ne retrouveront jamais le porte-feuilles qu’ils y ont sûrement laissé tomber depuis des heures, qui ont mal de partout et le cœur qui bat à 200, le T-Shirt tellement trempé de sueur que c’en est une deuxième peau… Eux ont le droit à trois minutes d’extase supplémentaire. Une manière de leur dire « ces trois minutes sont à vous, rentrez-vous encore les uns dans les autres avec le peu de force qu’il vous reste ».

Et à la fin de cette symphonie mélancolique, ce sont 5, 10 ou même 20 000 nounours tatoués, percés, tous vêtus de noirs qui se tombent dans les bras puis s’évaporent dans la nature (traînant les blessés derrière eux), simplement heureux d’avoir partagé la nuit.

Cédric Junillon