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There is a light that never goes out – The Smiths

Nous, on n’avait pas eu les couchés de soleil et les bougies, on avait une route pourrie
dans les environs de Boston. Ton visage était envahi par la lumière du feu rouge, ta
voiture aussi. On était devant l’école où on s’est connu et on riait en pensant à tout ce
qu’on ignorait alors pouvoir vivre, toutes les émotions impossibles qui nous cacheraient
bientôt les yeux et nous guideraient joyeusement vers toutes les surprises que la vie allait
nous cracher au visage. J’ai mis There is a light that never goes out des Smiths, ma
musique te plaisait, tu t’imprégnais de tout ce que j’étais, en faisais une partie de toi et la
sacralisais, et moi je te regardais faire en comprenant pas ce que j’avais de si précieux.
Driving in your car
I never never want to go home
Because I haven’t got one
Anymore
J’adorais la voix de Morrissey, je me disais que la chanson était trop belle, que le fait que
je devais bientôt rentrer la rendait affreuse, que cette chanson couplée à cet instant
rendait mon amour pour celle-ci impérissable. Je lui disais que je voulais pas rentrer, je
voulais jamais rentrer, je voulais partir loin de ma famille d’accueil, loin du New Hampshire.
Bien sûr, je le pensais pas. Bien sûr, je l’aurais suivi si lui m’avait prise au sérieux.
Take me out tonight
Because I want to see people and I
Want to see life
C’est avec lui qu’un jour, en courant jusqu’à sa voiture, le froid brûlant nos joues, j’en étais
venu à la conclusion que rien n’était plus précieux que la liberté, que peut-être l’amour
nous était si vital parce qu’il nous libère, parce qu’il nous fait croire qu’on peut devenir ce
que l’on a toujours voulu être, et on le croit, comme des cons.
And if a double-decker bus
Crashes into us
To die by your side
Is such a heavenly way to die
On avait nos chansons criées sur l’autoroute,
les paroles qui nous faisaient pleurer,
les blagues de merde que je faisais pour te faire rire,
les discussions politiques sur du punk,
And if a ten-ton truck
les projets qui ne se sont jamais réalisés,
les confidences et les souvenirs partagés,
les danses débiles dans les magasins,
les rêves qui étaient trop lourds pour nos épaules,
Kills the both of us
les larmes sur ton t-shirts,
les cheveux que je perdais partout et que tu laissais là en temps que porte-bonheur,
la liberté qui gonflait nos veines,
To die by your side
le slow pieds nus sur un terrain de baseball la nuit,
mes erreurs de prononciation que tu refusais de corriger,
les 100 petits mots que je t’avais écrits,
les cadeaux et les roses fanées,
les rires et les vidéos que je peux plus regarder,
les heures qui passaient trop vite et que j’ai déjà perdues.
The pleasure, the privilege is mine.
Par hasard, cette chanson est passée à la radio le jour où je partais, dans la voiture, en
route pour l’aéroport.
There is a light that never goes out
J’espérais que les lumières qui ne s’éteignent jamais dont parle la chanson étaient celles
de ma chambre que je ne voulais plus quitter.
There is a light that never goes out
Je l’ai entendu le dernier jour où je t’ai vu.
There is a light that never goes out
Les larmes sur ton t-shirt.
There is a light that never goes out
Et la musique s’efface lentement, comme tout ce qu’on croyait éternel.

Lara Torbay

Catch – The Cure

Il y avait Véronique qui dansait dans le salon, et son pogo de l’heure dernière s’était mué en valse solitaire et déséquilibrée, la faute à la bière et à la vodka. Il y avait Stéphanie, je crois, et puis Ben, et puis Yvan, pauvre Yvan qui n’allait plus vivre longtemps, et Max, et Pat… Oui, forcément Pat, est-ce que je me serais risqué à découcher sans la présence de mon vieux pote ?

J’avais quinze ans et trois poussières, je découvrais simultanément les effets de l’alcool sur mon organisme, et l’euphorie de tomber amoureux à l’approche des deux pour mille. C’est dire que si j’ai oublié quelques détails de la soirée, la bande-son me reste solidement gravée dans l’âme.

Chez Véronique, les bombers et les Doc Martens étaient empilées à l’entrée, en compagnie de mes baskets blanches et de ma veste sans forme et sans marque, si encore j’en avais une. À l’évidence de la première question, Bennett’ ou New Wave ?, succédait alors une interrogation hautement plus essentielle, qui touchait à l’équilibre du groupe, et pour laquelle l’unanimité était de mise… Cure ou U2 ?

Je ne me donnais ni aux uns ni aux autres, découvrant avec un bonheur sans pareil, les Pogues, les Smiths et un Jurassien foutraque et vénéneux du nom de Thiéfaine qui squattait mon radiocassette avec bonheur. Je n’avais pour l’heure besoin de rien d’autre pour assurer ma bonne puberté musicale.

Mais voilà, Véronique replaçait l’aiguille sur la chanson deux, ça démarrait sur un petit roulement de caisse claire et sur des vocalises approximatives de ce Robert Smith intouchable dont pourtant la voix m’horripilait. Seulement, ce soir-là, j’avais une cannette à la main, je contemplais le plafond qui oscillait en rythme, mille nuits de fête avinées s’offriraient bientôt à moi… Et Véronique dansait.

Je reconnais à Cure le savoir-faire, mais un côté un peu affecté, un peu poseur, un peu trop maquillé, dans l’âme plus encore que sur la peau, m’empêche encore de les apprécier tout à fait.

Mais CatchCatch, ce n’est pas du rock, de la new wave, de la cold wave, ou je ne sais quelle merde branchée dont on décortique l’appellation, c’est juste une chanson belle et directe, comme Robert savait en torcher quand il oubliait d’être prétentieux. Et vingt-quatre ans après, alors que je l’écoute en tapant ces quelques mots, j’y retrouve une magie qui survit aux crépuscules de l’acné et au miracle des seins naissants.

Et là, affalé sur un coussin où j’allais bientôt m’endormir, en me disant qu’il y avait de bonnes raisons de vouer son temps à l’exploration assidue de la beauté des filles, et qu’il était peut-être en ce monde quelque chose que l’on se devait d’attraper, je priais que Véronique n’en finisse jamais de remettre ce vinyle, Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me, The Cure, chanson deux, and again, and again

Michaël Perruchoud