É doce morrer no mar – Paulo Flores

C’est une chanson qui a été écrite par le Brésilien Dorival Caymmi. C’est une chanson qui me bouleverse, et c’est en écoutant la version de l’Angolais Paulo Flores que je chavire totalement.

Il est doux de mourir en mer, dans les vagues vertes de la mer.

C’était une nuit de tristesse, cette nuit où il n’est pas revenu. Saveiro est rentré seul… Il est parti de nuit, à l’aube il n’est pas revenu… Saveiro est rentré seul. Le beau marin a été emporté par la sirène… Mon amour s’est noyé, il a fait son lit de fiancé au col de Iemanjà…

Il est doux de mourir en mer…

Iemanjà, cette déesse de la mer et des océans, mère créatrice, issue du mariage brésilien de religions africaines des anciens esclaves et du christianisme. C’est une façon d’atténuer la peine : il est parti, il ne reviendra plus, mais au moins il est avec la déesse et avec cette foutue sirène qui chante sûrement comme une casserole mal nettoyée. Dieu que c’est bon de se raconter des histoires! On en crèverait de tristesse si les déesses et les femmes-poisson n’étaient pas là pour nous bercer un peu.

Alors non, le sujet ce n’est pas l’amour. Le sujet c’est le peuple, le marin qui part pêcher pour vivre, pour survivre et qui y perd la vie. C’est celui qui a été emporté par les bateaux de la traite des esclaves, mais aussi ce pauvre marin issu du peuple qui s’est embarqué dans des expéditions maritimes avec la peur au ventre et qui, pour sa part, n’aura rien découvert d’autre que la souffrance et la mort. N’en déplaise aux empires de l’époque. Et c’est aujourd’hui la même histoire qui continue : des bateaux à la dérive, qui chavirent et tuent. Des bateaux qui portent l’espoir de la survie, ailleurs peut-être, et qui ne mènent qu’à l’horreur. Nous en sommes au même point. Il y a toujours quelqu’un sur une rive qui attend qu’un proche revienne.

Alors oui, cette chanson me prend aux tripes et je le dis bien haut bien fort : c’est LA plus belle chanson du MONDE!!! Mais ce qui fait le plus vibrer dans cette chanson, c’est le refrain qui surgit comme pour calmer la rage et la tristesse : il est doux de mourir en mer, dans les vagues vertes de la mer, il est doux de mourir en mer… et la mélodie s’attarde bien sur le mot « doux ».

C’est parce qu’elle est simple, intime, qu’elle raconte une histoire singulière que je la trouve universellement renversante. Elle me ramène à un sentiment essentiel d’humanité et c’est tout ce que je demande à une chanson, pas plus et pas moins.

Et la voix de Paulo Flores, son instrumentation qui laisse place à des cordes à la fois envoûtantes et dérangeantes. C’est le Brésil et l’Angola, si intimement liés, qui se répondent. C’est l’histoire qui dialogue avec elle-même. J’en fais trop? J’exagère? J’ai beau être presque marseillaise, je jure que dans le cas présent j’use de beaucoup de retenue.

Écoutez sans modération cette chanson, plongez dans l’univers de Paulo Flores, pensez aux paroles du refrain quand vous l’entendrez. Et vous tanguerez tout comme moi. Il apporte sa sensibilité de sa rive atlantique, avec sa guitare et une langue bantou au beau milieu qui vient enraciner un peu plus cette chanson (peut-être du kimbundu mais il y a beaucoup de langues en Angola).

J’aurais tellement voulu écrire cette chanson. Tellement.

Si vous ne connaissez pas Paulo Flores, sachez qu’il est doux de se noyer dans sa voix, dans sa guitare aussi.

Lizzie Levee

Dead Skin Mask – Slayer

« Je ne crois pas en une vie après la mort, mais je prendrai ma brosse à dents », dit Woody. D’autres se pansent le yang avant de presser le bouton sur une place de marché surchauffée, histoire de préserver l’essentiel… Pour y trouver quoi? Un clebs à trois têtes qui ne remue jamais la queue, une rivière dans laquelle un bébé fait trempette la tête la première et le talon au sec? Pour l’autre strabique, l’enfer, c’est toi. Mais pour plein d’autres, il y a les flammes, les petits machins rouges qui piquent avec la queue fourchue, les cris, la faim, ou tout simplement l’obligation de se taper l’intégrale des Télétubbies pour l’éternité. Et c’est très long, l’éternité. Surtout vers la fin.

Personne ne sait à quoi ressemble l’enfer. Mais je peux te dire une chose : il a une bande-son.

Mark Levental

https://www.youtube.com/watch?v=VNFglDcW7dQ

Altitude – La Rue Kétanou

D’abord une entrée de guitare, comme pour accompagner une balade. Puis, de longues notes d’accordéon qui font l’esprit léger, qui vagabonde, comme un oiseau qui s’envole. Ça monte, lentement, puissamment, une longue intro musicale, avec de grands coups d’ailes.

Et, cette voix, qui me soulève le thorax… à chaque fois que je l’entends, je dois poser la main sur ma gorge. Elle parle d’évasion, des prisons qu’on s’est forgées soi-même, de s’en extraire en s’élevant, sans réfléchir, s’envoler, se laisser porter par la vie, le soleil et, peut-être, l’amour… que les autres le comprennent ou non!

Cette chanson me parle, me transporte, m’émeut (surtout aujourd’hui en voyage à l’autre bout du monde) par sa musicalité entraînante, ses paroles, sa voix… Quand je l’écoute, je m’envole… en altitude. Et, tout devient possible!

Virginie Casutt

Turn Me On – Nina Simone

Un jour de 2003… l’année d’Abou Ghraib.

Les infos nous montrent le sens de la fête des soldats US en Irak : on voit notamment des photos d’une soldate, tenant en laisse un prisonnier nu et accroupi, ou alors pointant du doigt, en rigolant, un autre à genoux devant son copain cagoulé, obligé de lui faire une fellation. La nausée, physiquement envie de gerber.

Et puis, le lendemain matin, j’emmène une bande d’enfants au ski en empruntant la voiture du voisin. J’allume l’autoradio et sort cette voix. Je ne connaissais pas Nina Simone. Pétrifié derrière le volant, plus tard je regarde la pochette du CD, cette tête, cette tête! ces lèvres! Faciès si africain qu’on imagine facilement comment elle était perçue dans l’Amérique raciste des années 60.

Une voix un peu plaintive, qui monte souvent un peu dans les aigus avec juste un poil de raucité, juste ce qu’il faut pour te mettre des frissons.

Turn Me On, je crois que c’était la première du CD, un beau texte mais Nina Simone le chante sans emphase, sans effet de manche vocal, assez sobre et on pourrait dire … résignée. Résignée à l’absence de cet autre qui pourrait, en revenant, la rallumer. Tout le contraire de la version de Norah Jones de la même chanson, qui se la joue « m’as-tu vue avec ma voix parfaite ». Celle de Nina Simone est moins lisse, avec le relief qu’il faut, ce n’est pas qu’une voix : ça contient tout le reste aussi, elle est en même temps éteinte (en accord avec le texte) et ardente. Ce qui est quand même pas mal comme performance, quand on y pense.

Elle a fait plein d’autres chansons plus énergiques, revendicatrices, véhémentes, montée en puissance vocale, de vrais morceaux de bravoure qui te font un orage entre les oreilles, mais ma préférée c’est cette petite ballade triste. Peut-être parce que c’était la première et que le choc émotionnel est resté.

Plus tard, j’ai lu qu’elle était virtuose du piano classique à douze ans, porte-étendard du combat pour les droits civiques, j’ai vu ses concerts de Montreux sur YouTube. Mais pour moi l’essentiel est dans cette voix profonde, vibrante, qui, un jour de 2003, me réconcilia avec les États-Unis d’Amérique, qui peuvent engendrer une soldate England, mais aussi une Nina Simone.

Samir Kasme

À l’enseigne de la fille sans coeur – Édith Piaf

C’était une année morne. L’insouciance de l’enfance commençait à s’effilocher. Un prof tyrannique, vague sosie de de Funès, ambitionnait de nous rendre aussi dociles que des écoliers nord-coréens. Et puis un jour, par la grâce d’une chanson apprise en classe, les problèmes de math et les règles de conjugaison s’évanouirent dans un déluge d’accordéon et de liberté qui embrasa mon imaginaire de gosse.

Le ciel est bleu, le vent du large
Creuse la mer bien joliment
Vers le port montant à la charge
Galopent ses escadrons blancs

Il y avait là-dedans de quoi s’évader plus sûrement qu’avec la mappemonde qui prenait la poussière au fond de la classe. À chaque fois qu’on la chantait, les barrières géographiques de ma petite école explosaient. J’étais projeté dans ce port « tout au bout du monde dont les rues s’ouvrent sur l’infini » à l’atmosphère si poétique.

Et puis il y avait Rita.

Tout le monde s´en fout, y a du bonheur
Y a un bar chez Rita la blonde
Tout le monde s´en fout, y a du bonheur
À l´enseigne de la Fille Sans Cœur!

 Le coup de foudre immédiat. Ses courbes hypnotiques se superposaient aux formes géométriques qui hantaient le tableau noir. Tandis que le petit roquet faisait claquer les règles grammaticales à la pointe de sa baguette, je me réfugiais dans son bar. Dieu qu’on s’y sentait bien ! Les rires et la gnôle coulaient à flots. Rita me servait mes premiers tord-boyaux avec un clin d’œil complice. Mes camarades suaient avec le Bled, le Bescherelle et les triangles isocèles ; moi je m’enivrais avec la plus belle femme du monde.

Dans ce petit bar, c´est là qu´elle règne
On voit flamber sa toison d´or
Sa bouche est comme un fruit qui saigne
Mais on dit que son cœur est mort

La concurrence était rude. Les prétendants accouraient des quatre coins du globe pour ses beaux yeux. Insensible aux avances, elle renvoyait un sourire moqueur aux fanfaronnades des marins imbibés d’alcool et d’espoir. Son père, patron du bistrot, veillait jalousement sur sa vertu. Ça excitait encore plus la convoitise des gars. Du haut de mes onze ans, je rêvais secrètement que c’était moi qui ferais chavirer le cœur de cette beauté insaisissable.

Et puis, il y eut cet enfoiré d’étranger.

Mais un soir, la mer faisait rage
On vit entrer un étranger
Aux beaux yeux d’azur sans nuages
C’est alors que tout a changé

À partir de là, je compris que la vie était dégueulasse. Que les filles trop belles finissent avec des rabat-joie opportunistes. Que l’amour fout le bordel partout. Et que les chouettes bars deviennent des offices d’impôts.

Je ne découvris la version de Piaf que bien plus tard. La voix inimitable de La Môme, aux accents à la fois gais et mélancoliques, porte à merveille la dramaturgie de la chanson. (Les versions de Barbara et de nos Michel Bühler et Sarclo nationaux valent également le détour.)

J’appris également plus tard que l’auteur de cette petite merveille était un Vaudois rondouillard qui avait réussi à Paris bien avant que Bastian Baker fasse couiner les adolescentes de France et de Navarre. Jean Villard « Gilles » fut en effet l’un des premiers auteurs-compositeurs-interprètes de la chanson française. Réduit à La Venoge ou aux Trois cloches offert à Piaf, on ignore largement qu’il forma dans les années trente un fameux duo de chansonniers – Gilles et Julien – donnant notamment dans la veine humoristique (les ancêtres du Duo d’eXtrêmes Suisses en somme, mais sans Québécois). Qu’on lui doit des centaines de chansons. Que Brassens le révérait. Qu’il découvrit et engagea le jeune Brel dans son cabaret parisien. Que le grand Jacques s’inspira de La Venoge pour écrire son Plat Pays. Qu’il fut également auteur dramatique.

Il m’arrive encore souvent de pousser la porte de l’Enseigne de la fille sans cœur pour retrouver celle qui a provoqué mes premiers émois.

Et vous savez quoi ?

Elle est toujours aussi belle.

Philippe Lamon

Le Twenty-Two Bar – Dominique A

C’est la plus belle chanson du monde car elle m’a été offerte par mon premier amour, et sur une vieille cassette mal enregistrée comme il se doit.

J’avais quinze ans, lui vingt-deux. J’habitais chez mes parents dans le trou du cul du monde d’Aire-la-Ville, lui dans un studio à Paris. J’étais en première du collège, lui à la fac de lettres. Je ne sais pas ce qu’il m’a trouvée, avec le recul c’est assez incompréhensible, mais moi j’étais aux anges, je me la pétais grave, sortir avec un mec de Paris de sept ans son aîné, c’était la classe !

Et surtout, j’étais raide dingue amoureuse pour la première fois. Le sourire niais, les grosses galoches, les papillons dans le ventre et tout ça. Il m’écrivait de sublimes lettres pleines de références littéraires que je ne comprenais pas. Je lui répondais en grosses lettres rondes avec des cœurs et des smacks !

Bref, on était amoureux aussi bizarre soit-il et on se voyait aussi souvent que possible. Encore une fois avec le recul, je dois reconnaître que mes parents étaient sacrément cool, me laissant aller à Paris à chaque vacances scolaires.

Et c’était tellement bien. Paris, son mini studio pourri, son chat Youyou. Les restos, les concerts, les nuits d’amour. C’est avec lui que j’ai tout découvert, la musique, la bonne bouffe, le sexe. Il me faisait écouter plein de morceaux, il m’emmenait à des soirées absolument incroyables du haut de mes quinze ans, il me caressait si bien.

Alors voilà, ça ne s’oublie pas un premier amour, ni ses cadeaux, ni ses chansons. Et à quinze ans, forcément qu’on va aimer les chansons qu’il aime et qu’il vous a offertes.

Mais, toujours avec le recul, il y avait aussi de sacrées daubes dans ses chansons préférées ! Mais pas Dominique A, pas Le Twenty-two bar que j’ai sincèrement aimée dès la première écoute, dans ce TGV me ramenant chez moi, pleurant toutes les larmes de mon corps de devoir quitter mon amoureux.

J’ai adoré cette chanson, j’ai adoré cet album et j’ai commencé à écouter ce que l’on appelait alors la nouvelle scène française à partir de là. Eh oui, dix ans avant de rencontrer un certain DJ La Teuf, c’est bien un autre qui m’a initiée à la chanson française, en dehors de mes parents qui s’obstinaient à me faire aimer Georges, Jacques, Léo et Édith bien sûr. Et en dehors de Renaud et Patrick Bruel que j’adorais déjà, on a vraiment des goûts très éclectiques (pour être poli) ou très bizarres (pour être honnête) quand on a quinze ans !

J’écoutais Le Twenty-two bar dans ma chambre le soir et je rêvais de rejoindre mon copain à Paris, on vivrait dans sa piaule avec son chat et on irait voir Dominique A en concert en se regardant amoureusement. Mais ce n’est jamais arrivé, je me suis fait posée comme une vieille merde quelques mois plus tard.

Premier amour, premier chagrin d’amour. Un drame, une tragédie. « Je ne veux plus vivre et plus jamais je ne serai heureuse », blablabla, vous y êtes tous passés, vous voyez bien de quoi je parle. Ça a été dur, ça a fait mal, mais je m’en suis remise assez vite au final, l’avantage des quinze ans !

J’ai gardé du plaisir à écouter Dominique A, et cet album, et cette chanson. C’est vrai que j’aurais pu plus mal tomber. Dominique A comme initiateur à la culture musicale francophone, y a pire.

Et je suis quand même allée le voir en concert, seule, sans lui ni Paris ni Youyou, et c’était carrément bien. Comme quoi c’est un sacré artiste qui arrive même à te faire oublier un premier amour ! Et aujourd’hui, j’adore toujours.

Alors Le Twenty-two bar, elle reste la plus belle chanson du monde car elle a été un déclencheur, une révélation qui m’a construite, qui m’accompagne tous les jours, qui a influencé ce que je suis aujourd’hui.

Merci pour ça. Merci aussi à mon Parisien et à Youyou, bien sûr.

Laure Delieutraz

Neon Orange Glimmer Song – The Mountain Goats

Qui dira à quel point la recherche du beau son peut édulcorer une chanson, la vider de sa moelle, pour la laisser pomponnée, lissée, aérée, prête à passer en radio, mais également molle, normée, rivée sur le bon tempo, amputée de l’émotion, la vraie, celle qui naît de la faille et pas de l’artifice?

Les producteurs, les bidouilleurs de la note juste, sont sans doute des spécialistes indépassables de l’ouïe, mais pour ce qui concerne l’âme, je serais plus circonspect, parce que voilà, j’aime quand ça racle, que ça sorte des tripes, que j’entende les doigts sur la guitare, et que la voix qui me parle ne me semble pas sortir d’un tuyau de salle de bains, avec l’odeur de javel en prime.

Musique viscérale, je dis, ça comprend le Nick Cave des débuts, Howe Gelb et sa bande de potes et bien sûr, ce songwriter mésestimé, John Darnielle, qui, sous le nom de The Mountain Goats, balance de grands seaux de vigoureux désespoir à la face du monde.

Depuis Tallahassee, les Mountain Goats font dans l’écoutable. Un label, des génies des consoles se débrouillent pour cadrer le monstre afin de lui trouver un public. Le sens de la mélodie est toujours là, l’ensemble est plus beau, mieux équilibré, c’est évidemment par là que l’on se doit de commencer lorsqu’on veut faire connaître le bonhomme sans effaroucher l’auditoire. Faut bien qu’il vive ce garçon, qu’il sonne avec son temps, faut bien que les voisins que j’invite pour l’apéro puissent tâter de ma discothèque sans me prendre pour un curieux masochiste de la chose chantée

Mais désolé, les premières galettes des Mountain Goats, comme Full Force Galesburg et Sweden sont définitivement au-dessus de ça, parce que Darnielle gueule ce qui lui ronge le ventre, parce qu’on devine l’essoufflement, la voix prête à casser, parce qu’il se détruit une phalange par minute sur sa guitare à frapper les cordes comme un sourd.

J’ai une tendresse absolue pour Sweden, parce que Darnielle y aligne des morceaux passablement désespérés, parce que l’essentiel paraît anodin, parce qu’on ne s’attarde pas des plombes à s’inventer des ponts pour faire joli. C’est brut et inspiré, et c’est livré sans dorures.

Parmi ce ramassis de merveilles, ce dépotoir poétique, je me suis arrêté à jamais sur la chanson seize, Neon Orange Glimmer Song, et ce refrain braillé I am a monster… I can’t believe the thing I’ve done... C’est de guingois, c’est pourri, la guitare attaque trois fois trop fort et les chœurs sont dangereusement branlants… Mais qu’est-ce que c’est bon!

Le génie vient des tripes, pas de la console!

Michaël Perruchoud

Syracuse – Henri Salvador

Ok, ok… c’est quoi déjà le sujet? Ah, yes : « Je ne laisserai jamais dire que ce n’est pas la plus belle chanson du monde »… ha ! ha ! ha ! fastoche… en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, j’allonge, rubis sur l’ongle, les deux titres de « la plus belle chanson du monde » griffonnés sur mon smartphone se prélassant sur un coin de nappe de bistrot (c’est comme ça que font les Prévert, Leprest et compagnie quand ils accouchent de textes bien sentis comme celui-ci). Petit check online sur la toile du projet pour voir ce que font les autres… hop… ah ben crotte alors… je me suis fait chouraver Le Sud et Les Passantes

Bon ben… euh ok… je commande un Côtes-du-rhône (je ne laisserai jamais dire que ce n’est pas le plus beau vin du monde) et c’est reparti pour un tour de tête… Je vais pas aller farfouiller dans ma Grande Discothèque pour cueillir la belle, je veux que ça vienne tout seul, que ça coule de source… arrivé à demi-bouteille, après m’être tâté longuement, j’hésite entre Le Zizi et Je t’aime… moi non plus – quoi? – le tout sans résultat véritable – je commence à déchanter sérieusement … ça fait quand même quelques mois que je traîne ce poids (une belle chanson de Kanche d’ailleurs tiens, un peu sombre peut-être)… totalement paumé, la caboche en surchauffe… c’est une putain de colle quand même… genre « tu préfères ton papa ou ta maman? »…

Tiens ça me donne une idée ça… et si je prenais La mémoire et la mère – choix intello certes – ça fait trente ans que je comprends pas le fin fond des vers… ce qui est franchement formidable (ça s’use moins vite qu’un tube de Stromae par exemple)… ou alors pour rester en famille Ma Grand-Mère, de Mickey 3D… – choix original et indé (ils sont trois à se partager Thiéfaine quand même) – bon mais on va dire que je veux faire jeune… basta ! Et si je faisais dans le terroir ? Un truc swiss made ? Comparaison n’est pas raison, du père Sarcloret, ou L’Assassin, de Zedrus (tu me dois une bouffe au Vieux-Martin, Damien)… ah y’aurait aussi Je le garderai pour moi, de Romanens – c’est pas Tharin qui a commis le texte en fait ? (vous me devez des bières les gars)… ou alors Matin doux, du Bel Hubert ?

Quoiqu’ils sont peut-être un peu jeunes pour mériter ? Ce serait pas mieux que l’auteur soit mort… ou presque ? J’ai comme un doute… Un truc de Gilles, alors… ou d’Aznavour (ok lui il n’a que le compte en banque de suisse)… mmmh… bon mais là je vois aussi que y’a des petits malins qui font dans l’anglo-saxon… J’avais pas pensé à ça, moi. Nirvana, Cure, Louis Armstrong… mais si j’étends le domaine de la lutte à cette catégorie je risque de péter un câble… si je dois commencer à choisir entre Neil Young, Townes van Zandt et Hank Williams je ne vais plus m’en sortir du tout du tout… stop… Et puis surtout, en tant que programmateur d’un festival francophone, je vais me prendre une méchante soupe de reproches si je fanfaronne haut et fort que la plus belle chanson du monde finalement c’est quand même Black Bird, des Beatles, ou Wayfaring Stranger, par Johnny Cash, ou encore In The Pine ou même House of the Rising Sun… je dis ça au hasard… bon donc on va dire que « chanson » c’est francophone… (D’ailleurs musicalement c’est quoi la chanson au fond?).

Ah mais tiens je pourrais faire un coup product placement en choisissant une toune de mes artistes canadiens dont j’inonde le marché suisse… pas con ça… Non? Ah bon… J’essaye une autre piste alors. Et si « la plus belle chanson du monde » était forcément toujours liée à truc fortfortfort dans ta vie ? Ta naissance, ta mère, la première fille que t’as serrée dans tes bras (pis la deuxième, pis la troisième, etc.), tes gamins et puis ce que tu voudras écouter comme musique à ton enterrement. Il y aurait possiblement donc les disques que la sage-femme passait sur son Topaze pendant que ta maternelle était dans les douleurs : Joe Dassin (Le chemin de papa?), Dalida (18 ans?) ou un tube de Richard Antony (J’entends siffler le train?).

Pour le coup de la première fille et du baiser qui va avec, je me souviens que du baiser pas très précoce et puis le moment de la première vraie petite mort venue enfin y’avait pas l’électricité pour brancher le radiocassette, pour la naissance des gamins on s’est passé de musique, ce qui fait que nous voilà déjà à mon enterrement et là ce sera les œuvres complètes pour piano d’Erik Satie et c’est tout… et ça c’est pas du pipeau, c’est sûr et certain. Me voilà donc dans de beaux draps.

Bon, mais entre la première fille et la dernière bière, il y a quand même matière à fouiner au rayon des vaines quoi que laborieuses agitations de nos vies d’adultes mises en chanson par des contemporains reconnus: Miossec (L’amour et l’air), Bashung (Mes Bras) ou alors du côté des contemporains pas du tout très reconnus comme Hélin, Lafore, Kanche, Belin (et j’en passe)… il y aurait par exemple bien en lice la magnifique Chaos de Moran (pour les détails biographiques c’est «Si tu me payes un verre»). Ou alors l’enfance quand même? Vaste pays dont je ne vois plus les rives (ok c’est pas de moi ça) : Le générique de «L’Île aux enfants» et la chanson de Nounours dans «Bonne nuit les petits merdeux». Ou alors je fais mon gros malin à texte en piochant en vrac dans les classiques des grands allongés : Brassens (rien à jeter ou si peu), Brel (une sélection laborieuses et casse-gueule), Ferré… pardon Léo pour les connaisseurs (sur le tard et symphonique)… et puis Reggiani (bien sûr)… et tant que j’y suis je rajoute Renaud (attention on descend à la Belle de Mai)… aïe aïe aïe… Sœur Sourire priez pour moi, c’était quoi la question déjà ? Avec le temps tout ça s’en va vachement. Re-petit tour sur le blog où je m’aperçois avec horreur qu’entre temps on ma piqué La mémoire et la mère (ah bon c’est la mer,ok… désolé Maman) et donc.. ah ben merde… v’là Perruchoud et Bollinger qui commencent à ramasser les copies !!! Bon j’me lance… le truc de génie crac : je prends un ticket last minute pour Syracuse et ses grands oiseaux qui m’amusent à glisser l’aile sous le vent… ou alors l’Île de Pâques ? Ou pourquoi pas Kairouan ou les jardins de Babylone ? Quoi que le palais du Grand Lama c’est pas fait pour les chiens non plus… et si je me faisais une grimpette au Fuji-Yama ?… Ou alors le plan peinard au pays du matin calme à se la péter au vin de palme tout en tenant les chandelles aux amants de Vérone en faisait bien semblant de regarder les cormorans taquiner le poisson en écoutant chanter le vent ?
Avant que ma jeunesse s’use  (rire)
Et que mes printemps soient partis (ça c’est fait)
J’aimerais tant voir Syracuse
Pour m’en souvenir à Züri.

Ulrich Schuwey

https://www.youtube.com/watch?v=tbY9ZJXdH1w

P’tite conne – Renaud

Ha! Les années héroïne…comme les drogues les arrangements sont un peu passés…

J’ai vraiment découvert Renaud à quinze ans, avant j’avais juste entendu deux ou trois trucs à la radio. C’était en 89. Et il y a ce texte qui me parle direct… Je l’écoute en boucle sur mon Walkman Sony Sport jaune.

Tu m’excuseras mignonne d’avoir pas pu marcher
Derrière les couronnes de tes amis branchés
Parc’ que ton dealer était peut-être là
Parmi ces gens en pleurs qui parlaient que de toi

C’est vrai qu’il y avait Yvan qui m’avait dit qu’il avait essayé un truc excellent, mieux que les joints. Et que deux mois après on a perdu de vue, puis retrouvé qui traînait avec un type délabré barbu en espadrilles, place du Molard, lors d’une manif contre l’UBS… puis plus revu…

Puis d’autres qui ont plongé dans cette descente infernale, même bien plus tard, et bien plus proches, et je me suis chaque fois senti impuissant.

Il fallait du pognon pour se procurer cette merde, et les prix n’étaient pas cassés dans ces années-là, sans doute plus de demande, et moins de politiciens corrompus braqués sur les dealers noirs sans papiers plutôt que sur les bénéficiaires de l’affaire.

Tu fréquentais un monde d´imbéciles mondains
Où cette poudre immonde se consomme au matin
Où le fric autorise à se croire à l´abri
Et de la cour d´assises et de notre mépris
Que ton triste univers nous inspirait malins
En sirotant nos bières ou en fumant nos joints

Est-ce que les choses ont changé?  Souvent il vaut mieux être malheureux et fauché que malheureux et blindé. Je faisais partie de la première catégorie, quel bol!

Finalement, c’est l’histoire de tout le monde et personne, un truc qui arrive à n’importe qui, tu le vois pas venir, et paf!

Parce qu’on se met à vivre à côté des autres, qu’on recherche toujours une satisfaction qui ne viendra pas, un autre pays, une autre vie, même si on a tout, surtout si on a tout.

P´tite conne c´est oublier que toi
T´étais là pour personne et qu´personne était là

Alors grâce à toi, Renaud, je resterai à siroter des bières, latter une ou deux taffes, et profiter de mes potes, de mes proches!

Ça n’a pas de prix, et tu me l’as fait comprendre, j’avais quinze ans et j’écoutais personne.

David Magnin

La Ballade des gens qui sont nés quelque part – Georges Brassens

C’est la chanson dans laquelle je m’identifie le plus, celle dont j’aurais pu, ou plutôt voulu, écrire chaque mot, chaque vers, chaque pique. Contre les « gens du cru », les nationalistes, les chauvins. Rien à ajouter.

Ou plutôt si : la partie que j’aime le plus, c’est l’estocade finale:

Que la vie serait belle en toutes circonstances
Si vous n’aviez tiré du néant ces jobards
Preuve peut-être bien de votre inexistence
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Le mec, il s’adresse à Dieu (rien de moins) en lui disant qu’il n’existe pas!
Quel vertige! Chapeau, l’artiste!

Samir Kasme