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Walk On The Wild Side – Lou Reed

Quand j’ai entendu Walk On The Wild Side pour la première fois je ne parlais pas encore l’anglais, je devais être ado, mais la musique, la basse, le sax à la fin, la voix de Lou Reed et les Doo do doo, doo do doo, doo do doo m’ont  tout de suite émue et beaucoup plus. Par le plus pur hasard … ou pas, cette chanson était souvent en arrière-plan d’un moment important … une rencontre, une première fois … Elle fait partie de la bande son de ma vie. Je me suis intéressée aux paroles beaucoup plus tard, il n’y a pas si longtemps en fait et en les découvrant elle m’a encore plus plu. J’aime son côté subversif (elle a été écrite en 1972 et peu de chansons parlaient de sujets tels que la drogue, la prostitution, de transsexuel, de fellation …) et son conseil : Hey babe, take a walk on the wild side … que je n’ai pas forcément suivi. Sur le Web ils disent que ça peut avoir plusieurs traductions possibles : « Viens faire un tour dans la zone », « Viens t’encanailler », « Ne reste pas sur le droit chemin ».

C’est ma chanson préférée et donc la plus belle chanson du monde Doo do doo, doo do doo, doo do doo Hey babe, take a walk on the wild side…

Corinne

 

La ballade du mois d’août 75 – Charlélie Couture

CharlElie Couture, je l’ai rencontré en avril 2010, à New York. La ville, dit-on, où tout est possible. Cela doit être vrai. Je savais qu’il avait son atelier sur Manhattan. Après quelques échanges, le rendez-vous est fixé. Le jour J, je m’engouffre à l’heure dite dans l’ascenseur d’une tour vertigineuse. Plusieurs dizaines d’étages plus haut, je me retrouve devant une porte. Je sonne. J’ai les mains moites et la gorge sèche. La porte s’ouvre. Lunette de soleil, barbiche. Un «Bienvenue» de cette voix si particulière. Pas de doute. C’est lui. Après une petite heure passée à visiter son atelier, parler de son travail en cours, il propose d’aller manger une pizza dans le quartier. En route, il s’arrête souvent pour capturer des images. Une bouche d’égout, une trace sur le sol, un échafaudage très graphique… Je me suis souvent demandé si les photos prises avaient été utilisées sur l’une ou l’autre de ses créations. On a mangé une pizza, j’ai bu une bière. Je ne savais pas quoi lui dire. Comme le lièvre pris dans les faisceaux des phares de la voiture… Puis je suis reparti dans la Big Apple avec un drôle de sentiment dans le ventre. Dis-moi, c’est comment un rendez-vous manqué?

«Mais il ne reste jamais rien de ce qui est vécu,
Quelques grains oxydés sur de la paraffine
Et des souvenirs idiots…»

Mais revenons un peu en arrière. Retour en 1986. J’ai onze ans. CharlElie dédicace son dernier ouvrage en date dans une galerie genevoise. Je me pointe avec un petit livre rouge où j’avais pour habitude, enfant, de faire dessiner toutes les personnes qui m’étaient chères. Je me vois encore. Un petit blondinet, ayant séché les cours, bégayant au milieu des adultes. Je lui tends mon livre: «Dessine-moi un mouton» Il a dû trouver cela attachant. J’ai encore son dessin: un guitariste qui lui ressemble et qui chante «Oh Thomas n’est pas un au-toma-te».

«J’ai des crampes dans le cou et les yeux qui me piquent,
mais je me souviens…»

Puis 2002, la sortie de mon premier cinq titres. Je lui envoie mes chansons. Il me répond par un petit texte que j’ai longtemps utilisé dans mon dossier de presse comme un asticot sur l’hameçon. Les journalistes en sont friands. «Utilise-le si tu le souhaites. C’est tellement dur de se faire entendre dans ce métier. Si cela peut t’aider…» Je ne sais pas si cela m’a aidé. Sûrement. Mais cela m’a surtout beaucoup touché. Je l’ai toujours.

«Il faisait bon dès l’aurore, 
à regarder le ciel dans un fauteuil en toile…»

La ballade du mois d’août 75 a ce charme suranné des pellicules Super8. L’image bouge, parfois nette, souvent floue. L’objectif de la caméra se déplacent sur des souvenirs aux couleurs estompées. Le temps passe et les instants vécus sont nos balises. Aujourd’hui, 39 ans après, cette chanson produit toujours le même effet sur moi. Une douce rêverie estivale empreinte de nostalgie. La nostalgie peut-être d’une époque où l’…

«on buvait du Pastis comme si c’était de l’eau».

Tomas Grand

Les Meurtrières – Damien Saez

Bon, d’accord, parfois tu as envie de lui flanquer des baffes. Ses poses de post-adolescent rimbaldien, d’artiste maudit qui souffre, parce que, voyez-vous, elle est partie et ça fait mal. Parce que la vie est moche et que vous êtes tous des cons. Ses airs de « je suis un rebelle, moi, Monsieur ! La preuve, je crie “putain” et “enculé”. »

Mais un jour, quand même, cette voix fragile t’accroche l’oreille. Pas de doute : elle transpire la sincérité, tu le sens, ce genre de choses. Alors tu écoutes, tu comprends que ce Saez écrit comme personne. Et c’est toi qui prends une sacrée claque.

Ça, c’était il y a des années. Maintenant, tu connais Damien Saez et tu sais qu’il les surclasse tous. Quelqu’un pour dire le contraire ? Depuis le triple album Varsovie, L’Alhambra, Paris (2008), tu n’as pas oublié qu’il est capable de pondre des chefs-d’œuvre dépouillés. Tu les attends à chaque disque, mais de là à voir venir ce choc… Petite intro à la guitare, bouffie de mélancolie, et quelques mots : « Je suis venu pour te rejoindre, toi tu n’as pas voulu me voir. » Toute une atmosphère en une phrase parfaite.

Oui, Les Meurtrières parlent de rupture, mais aussi de New York, de douleurs, la mienne, intime, qui ne se compare à aucune autre. Même celle de leur 11 septembre.

Le monde en pleurs pour le center
Et moi qui pleure pour mon amour
Je sauterais bien du haut d’une tour

A-t-on jamais mieux dit cette déchirure ? Qui oserait nier qu’une ville en cendres n’est rien face à un amour qui s’effondre ?

Et si deux tours manquent à New York
Mon amour, toi tu manques à moi.

D’accord, dit comme ça, « tu manques à moi » n’est pas très joli. Mais comment ne pas frissonner ?

Ce pur désespoir, Saez le chante en se forçant à une sérénité qui le rend d’autant plus poignant. La voix reste à deux doigts de se briser, à bout de souffle, mais elle tient, en effrayant équilibre, même quand il lâche que la Terre peut bien mourir, « moi je m’en fous, puisqu’elle me fait vivre sans toi ». Même quand il se résout : « Allez, je saute, j’en peux plus ». Avant d’ajouter :

Et que les goélands m’emmènent
Où les poètes sont les dieux
Où les adieux sont les je t’aime

On ne répétera jamais assez qu’il n’y a nul besoin de mots compliqués pour que jaillisse la poésie.

Et puis, ces « meurtrières », dont la dernière syllabe semble ne jamais s’éteindre. Avec ce double sens de femmes assassines et d’ouvertures dans les murailles, comme on en voyait sur toute la hauteur des tours new-yorkaises. Et puis cette guitare hypnotique, ce chœur féminin qui arrive on ne sait d’où pour vous dresser les poils. Et puis ce dialogue avec soi-même, avec sa douleur :

Un jour, tu sais, tu reviendras
Pour un café ou quoi que ce soit
Arrête de délirer enfin
Tu sais qu’elle ne reviendra pas

Alors tu l’écoutes une fois encore. Et encore. Dix fois, vingt fois, plus fort. Alors tu te retrouves au bord des larmes, tu te retiens pour ne pas y plonger.

Alors tu te dis que Saez a un putain de talent.

L’enculé.

Éric Bulliard

Chelsea Hotel #2 – Leonard Cohen

En quittant le foyer familial, mon père a embarqué toute sa collection vinyle des Beatles (salaud !) ainsi que celle de Bob Marley (bravo !). Pour ma culture musicale, restait uniquement chez ma mère l’intégrale de Gérard Lenorman, de Michel Sardou et quelques autres encore que la société et moi-même avons soigneusement oubliés.

Persévère, cherche et tu trouveras. À force de feuilleter toutes ces pochettes cartonnées bien rangées, j’ai fini par hasard sur cet album. New Skin for the Old Ceremony. Album par ailleurs offert par mon père à ma mère. Une tartine de mots tendres est écrite sur le dos de la couverture mais, curieusement, ça ne me rebute pas. Première écoute et ce déclic qui changera à jamais ma perception de l’émotion musicale : « Le peu peut devenir énorme ». Alors que nous sommes en plein à la fin des années 80 (gloubi-boulga de synthés, de voix trafiquées, de mélodies passe-partout taillées pour la radio), une voix grave vient me caresser les tympans, voix accompagnée uniquement d’une guitare acoustique. Chelsea Hotel #2. J’y loue une chambre, je croise les habitués, celui qui a la garde des lieux m’a accueilli à bras ouverts.

L’envie de visiter New York en hiver. Mais à cette époque, ce ne sera pas New York, mais la Belgique.

Souvenirs : les bas-côtés d’une voie ferrée sur un chemin pédestre avec la rivière juste à côté. Bières belges à foison, trois amis. Et Leonard Cohen

Chelsea Hotel se transforme en auberge de jeunesse, en camping, en nuit étoilée selon nos errances mais toujours avec ce même accueil chaleureux.

« We are ugly but we have the music. »

Anecdote : Arena de Genève, concert de Monsieur Cohen. Hallelujah. Deux dames dans la rangée devant nous : « C’est sympa qu’il reprenne du Jeff Buckley… »

Anecdote 2 : je n’ai toujours pas visité New York.

Antony Weber

The River – Bruce Springsteen

Il s’avance en paletot gris, lâche quelques mots timides. « This is a song called The River. This is new… This is… my brother-in-law and my sister ». Timides… sans doute l’adjectif qui correspond le moins à Bruce Springsteen. Même en cet automne 1979 : trente ans à peine, une énergie de chien fou qui explose sur scène depuis cinq ou six ans. Y compris, après le triomphe de Born to Run (1975), dans des salles immenses. Autant dire qu’il n’a aucune raison de se montrer impressionné par cette soirée au Madison Square Garden : après tout, il se trouve ici chez lui, à New York, devant un public bon enfant, présent autant pour une cause à défendre que pour la musique : la soirée est organisée par les Musicians United for Safe Energy. Des antinucléaires, quoi, voyez-vous, c’est l’époque.

Oui, mais voilà : ce 23 septembre 1979, Bruce Springsteen chante pour la première fois The River. Et il sait. Regardez le document (No Nukes, le film, est sorti en 1980) : dans sa voix (timide, absolument), dans son regard, on sent l’importance de ce moment. Il sait qu’il va donner au monde une de ces chansons qui peuvent sauver une vie. Eh oui, rien que ça.

Bien sûr, Springsteen a déjà derrière lui des chefs-d’œuvre, Thunder Road, The Promised Land et quelques autres. Avec The River, il touche une autre dimension. Avec The River, il parle certes de sa sœur et de son beau-frère (anecdote véridique), mais aussi du rêve américain, central dans toute son œuvre. « Mon travail a toujours consisté à mesurer la distance entre le rêve américain et la réalité », déclarait-il dans une récente interview.

Là, il va plus loin, plus fort, plus haut. Écoutez-la, réécoutez : aucun doute, il parle de nous, de vous. De moi, de toi. En quelques minutes (cinq minutes et trois secondes exactement pour cette première en public), entre la déchirante intro à l’harmonica et les ouhouhouhouhou qui s’évanouissent dans le lointain, c’est le destin de tout être humain qui défile. Et peut-être plus encore. De quoi intimider même celui que l’on surnomme déjà le Boss.

Depuis, Springsteen a dû la jouer près de 600 fois en concert. Toujours, un silence dans le stade. L’harmonica, ce frisson. « I come from down in the valley, where Mister when you’re young… »

Résonne alors une nouvelle fois l’histoire de ce jeune couple, sa rencontre à 17 ans, dans cette vallée où l’on ne vous apprend qu’à faire ce que faisait ton père. Le mariage, sans fleur ni robe, à 19 ans, parce que Mary est enceinte. Ce couple si banal, admirable de banalité, qui fait face quand tombe le chômage, quand il comprend que ce n’est pas la vie dont il rêvait. Quand il ne reste plus qu’à faire comme si on s’en foutait ou comme si on avait oublié. Mais on n’a rien oublié, ni les virées nocturnes dans la voiture du frangin, ni ta peau bronzée et humide au bord de la rivière.

La rivière, ils y retournent, toujours. Alors même qu’elle est asséchée et qu’ils le savent. Aussi poignante et désabusée soit-elle, la chanson garde cet élan dérisoire, cette envie de croire que l’eau va couler à nouveau sur les galets usés. Qu’elle peut revenir, pour laver la poussière laissée par nos rêves enfuis. Dis-moi, un rêve est-il un mensonge s’il ne se réalise pas ou est-ce quelque chose de pire encore?

Éric Bulliard
Décembre 2013

Famous Blue Raincoat – Leonard Cohen

On devrait pas avoir le droit d’écrire des trucs pareils. Pas avec cette voix, cette mélodie, cette pudeur crue qui met en lumière le sexe, la rage, l’impuissance, la solitude et les marches interminables dans la neige sale de New York, les mains enfoncées dans son imperméable. On est là dans le froid de décembre à entendre la musique étouffée sortant de quelques clubs de jazz, à faire et refaire le passé, dans l’espoir de changer l’histoire qui nous ruiné l’âme.

C’est un homme qui n’a pas su ôter la tristesse des yeux de sa femme et qui apprend à ne plus haïr celui qui y est arrivé, une nuit à jamais maudite. C’est la chanson d’une colère qui a dû régner en lui des années durant et qui, au fil du temps, a fini par s’éroder « I guess I miss you , I guess I forgive you », et la voix tombale de Cohen dit les êtres qui se savent bien petits, bien faibles face à leurs passions.

Mais au fond, on s’en fout, il n’y a pas besoin d’en connaître plus. Aux chiottes les explications de textes! On sait tous que l’amitié est profonde, que l’amour est perdu par essence et que tout se gâchis de nos vies nous colle les larmes aux yeux.

Ce n’est pas le thème, c’est la manière, c’est l’élégance du verbe et la sensualité de la voix, c’est la mélodie enfin qui vient faire vibrer des cordes tout au fond de nous, bien au-delà du sens. Ce début de refrain… Cette envolée « Yes, and Jane came by with a lock of your hair… » comme une décharge d’humanité, un truc qui te rend fier pour quelques secondes de faire partie de cette sinistre espèce. C’est la grâce des poète, celle de la musique, de donner ainsi envie de pleurer tout ce qu’il y a à pleurer dans cette vie, comme ça, d’un flot de larmes pur, un de ces chagrins heureux, une de ces douleurs qui vous feraient tendre la main aux pires de vos contemporains.

Elle cloue, cette chanson. On est là tout entier dans la dernière envolée, à se dire que rien ne pourrait être plus beau, et puis, quand la voix retombe, et murmure aux notes finissantes, son fameux « sincerely, L. Cohen », vient le coup de grâce.

Cette chanson n’est donc pas une imposture, c’est un vrai message de pardon, une main tendue au-delà des années à un rival de chair. Nous ne sommes plus des auditeurs, mais des confidents, des proches, des intimes. C’en est presque gênant. Et pourtant, c’est universel, c’est tellement l’histoire de Cohen que cela en devient la nôtre. Nous avons tous écrit cette lettre, à marcher dans le froid, avec trois tonnes d’amour déçu dans le paquetage, dans un New York à notre mesure, alors que l’hiver ne faisait que commencer.

Michaël Perruchoud